Clémentine Dupré 19 Nov. – 17 Déc. 2022
Exposition « And the sky was all violet » Vernissage samedi 19 novembre 2022 de 18h à 21h. Clémentine Dupré, sculpteure, explore ses ancrages dans la féminité, s’appuyant sur des figures d’un paganisme antique, empruntant aux Gorgones, Amazones, à Iris ou encore à Lucrèce, qu’elle invoque dans des objets de cultes, autels d’argile miroirs de ses questionnements intimes.
Clémentine à seize ans lorsque que Live Through This le deuxième LP de Hole inonde le monde frais de l’adolescence de ses sonorités rageuses. Tout est bouleversé, se délite au rythme de riffs sourds et profonds. Naissance d’un message du féminin désenchanté et libre. Courtney Love brise les représentations ataviques et redéfinit l’épicentre d’une possible révolte chez l’adolescente d’alors, laissant naître une onde existentielle, un sursaut de l’âme pour embrasser une décadence prémonitoire. Ce souvenir vient s’échouer comme un écho à notre époque où toutes les cartes se rebattent non sans l’économie d’une lutte.
Violet comme la lumière du soir, juste avant « la nuit, austère partouze des siècles ». Violette Leduc, donc. Violet comme Renée Vivien, que l’on surnomma aussi La Muse des violettes. Violet quand s’équilibrent les genres. Violet comme la tempérance des extrêmes. Violet comme les Iris de Vincent, symbole prophylactique, fleurs de Junon reine du ciel, dont est ceinte Lucrèce lorsqu’elle se suicide. Violet qui chez les symbolistes ouvre un passage vers l’au-delà. Violet comme le ciel qui s’irise des particules de l’anthropocène. Violet, promesse d’une fin des temps. Violet comme Courtney dénonçant rageusement les attentes en filigranes.
And the sky was all violet
I want it again but violent more violet
Courtney première figure révoltée. On ne se voit pas nécessairement dans son genre d’abord, puis on observe le monde, ses habitudes que l’on travestit en culture et on remarque ces petits détails, qui sous certains points de vue sont plutôt des défauts. On avance à tâtons, on cherche à définir du bout des doigts, puis à pleine main tout ce qui ne colle définitivement pas, pour comprendre qu’une sensibilité en vaut bien une autre, que toutes scandent quelque chose au-delà des pleins et des vides que l’on érige en frontière. Alors, on se souvient de Courtney. Et l’on cherche en soi et dans le monde à la recherche de modèles édifiants qui ne sont en rien des défis, mais tout au plus des prises auxquelles on se raccroche éperdument pour comprendre et se comprendre, pour se fondre et confondre. La pointe de l’iceberg est blonde, sublime, désinvolte, sale, camée. Puis, la vie suit son cours, avec ses amnésies passagères ou plutôt des héroïnes qui cachent d’autres : Simone, Violette, Virginia, Renée, Annie et bien d’autres…
Clémentine sculpte ou modèle. Dessine dans l’espace des pleins dans des vides, vice versa. Elle emprunte au lararium et construit de petits sanctuaires intimes dédiés à des figures tutélaires et féminines : Gorgones, Iris ou Amazones, mais aussi Lucrèce. Représenter sans figurer peut-être pour dire que le corps, s’anéantit quand l’esprit reste, éternel dans les mémoires de celles qui suivent. Symboliser par le lieu comme on s’inventerait des fétiches, des figures non figurées affublées d’ornements multiples. Revenir aux rituels païens parce qu’ils ont célébré plus intensément le spectre entier de ce qui est, sans rien dévorer. Aucune nostalgie, juste un chemin emprunté afin de sonder ses entrailles, donner un sens à ce qui sort, s’invente au monde malgré soi, dans un déchirement, un cri ravalé ou contenu.
Donner naissance à des lieux qui sont aussi des figures. Peut-être influencée par les gravures de Louise Bourgeois, certainement par la lecture de Gaston Bachelard, lui-même rencontré au détour des Demeures d’Etienne Martin.
L’habitat. Habiter. S’habiter des fondations au faîtage. Redéfinir le piétement en piédestal, s’inspirer de ce qui a été. Chercher dans l’émail la proximité des marbres, des peaux de serpent, des cuirasses pour dire avec plus de précision ce qui est figuré, ou qui est figurée. S’emparer de l’espace, déployer ces ailes pour dire encore plus, pour tendre des perches sans se compromettre. S’appuyer sur les mots d’autres avant elle, les donner à lire par un objet dévoyé. S’emparer des symboles, les triturer, les modeler, les travestir voire les pervertir. Rien ne saurait être assez quand on en vient à s’exprimer. Car peut-être faut-il d’abord rugir, laisser se perdre les sons qui de loin en loin finissent susurrés. Puis les accueillir à nouveau au creux de son oreille pour les redire avec plus de justesse, de tendresse. Le chemin est long, semé d’embûches qui avec un peu de hauteur n’en sont sans doute pas. N’est-ce pas ce qui le rend passionnant ?
AG